Celebración. La poética de la tela.

Eduardo CARDOZO

PARIS – 21, 22 et 23 octobre 2022

Celebración. La poética de la tela.

« Nous sommes notre mémoire, nous sommes ce musée chimérique de formes inconstantes, ce tas de miroirs brisés » Jorge Luis Borges

L’universalité des tissus se confond avec l’histoire de l’humanité. Ils nous accompagnent depuis le Néolithique. Les tissus sont le support de la peinture et, dans la représentation de leurs plis et transparences, se cachent de véritables jalons dans l’histoire de l’art. Les tissus sont aussi les vêtements qui protègent notre intimité ; ils couvrent et révèlent en même temps. Ils accompagnent les vicissitudes de l’existence dans une proximité furtive et au moment charnière où ils deviennent évidents : ils sont la gaze dans les soins, les couches à la naissance, les linceuls dans la mort.

Dans « Célébration », Eduardo Cardozo a peint « la machinerie » de la peinture. Ici la matière elle-même devient l’image. A travers ses toiles, il produit des réalités dans un autre registre. Dans sa peinture, le possible et l’imaginaire deviennent une expérience à part entière.

Les toiles ont gagné en densité, en corporéité. Elles vont de l’épaisseur d’une couche de peinture à la fragilité de la toile ou au poids du lin. L’ajout augmente l’épaisseur, rend la structure plus solide. C’est comme si elles étaient remplise de vie intérieure. Elles sont à la limite de transgresser le champ visuel pour se laisser explorer par le toucher qui les devine dans leur puissance sensorielle et sensuelle. Alors se produit un dispositif des sens : ici, l’œil devient une expérience tactile. Ce qui donne à ces peintures le statut de réalité, c’est leur témoignage matériel, palpable.

Au fur et à mesure que l’artiste a recouvert d’une autre couche de peinture ou voilé de toile, le processus de dévoilement demande du temps pour se révéler à un observateur curieux et actif. Le processus de regarder, d’explorer, de découvrir, de plier, de déployer, de décider et de dissimuler, qui implique à des moments différents le créateur et l’observateur. Communion d’inconnus, unis par l’expérience esthétique et l’acte créatif.

Depuis ses débuts, la peinture d’Eduardo est une recherche et une enquête dans l’histoire même de la peinture. Il y reconnaît sa source et sa destinée. Loin de tout acte discursif, il y a dans son travail un humble entêtement pour l’essentiel.

Les tableaux de cette exposition sont lumineux, sereins, chargés de matière et d’air, de temps, de textures rugueuses et de douceur. Si l’on devait parler en termes de dramaturgie et de fiction, on dirait qu’il a vidé ces œuvres de tout élément anecdotique susceptible de générer une péripétie et une trame d’histoire. On sait que l’absence d’anecdote n’implique pas l’absence de conflit et de drame, mais sans ces éléments, le dilemme devient central. Nous sommes face à l’idée borgésienne du désert comme labyrinthe.

Et c’est ce que fait Cardozo, il embrasse le défi pictural et la puissance plastique de la toile dans son désert ou son mystère. Il trace, compose et assemble uniquement avec des couches de textiles et de peinture, peut-être à la recherche d’un paradoxe : cela vaut la peine de décomposer la réalité au gré de ses propres chemins.

Enfin, le but de toute connaissance est de démêler sa complexité.

Diana Benia

 

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